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2023 MARS Initiative DA webinaire "Agilité: fin de partie ?"

  • 6 févr. 2023

En guise d’avertissement au lecteur


Attention, ce qui suit n’est pas agilement correct . . . ami lecteur, si tu as l’âme sensible, saute
directement au dernier paragraphe ou bien inscris toi immédiatement à la visio-conférence PMI Agilité 2023 du 9 mars (https://pmi-france.org/conferences/calendrier-de-tous-les-evenements?eventId=15511).

Assistons-nous à la fin de l’histoire Agile ?


L’agilité a gagné, tous nos projets sont Agile (avec un A majuscule mais sans l’accord en nombre, voir plus bas), toutes nos entreprises ont décidé d’adopter la démarche Agile (encore avec un A majuscule) pour l’ensemble de leur organisation, et ça marche, n’est-ce pas ? En tout cas c’est ce qu’il faudrait croire, si l’on écoute les présentations énamourées, extasiées, que dis-je, dithyrambiques auxquelles nous pouvons assister lors des diverses conférences Agile (toujours avec un A majuscule, y compris avec la confusion adjectif et complément de nom, j’y reviendrai plus bas, si si).


Vous aurez compris que j’ai quelques doutes sur l’adoption réelle de l’agilité par nos équipes de développement et nos entreprises. Ce n’est pas ce que je vois dans mon quotidien ! Mais peut-être n’ai-je pas de chance ? Peut-être seuls les projets en difficulté me demandent-ils d’intervenir ? Peut-être que seules les
entreprises ayant quelques soucis avec leur management lors de leur transition vers l’agilité me
sollicitent-elles ?

Quand une équipe me dit qu’elle fait du Scrum, j’ouvre le Guide et je me plais à lui lire la note de fin, page 13 du guide de 2020, qui dit « The Scrum framework, as outlined herein, is immutable. While implementing only parts of Scrum is possible, the result is not Scrum. », puis je lis ce guide depuis le début à haute voix. Pour chaque terme Scrum et/ou Agile rencontré, je demande à l’équipe ce qu’elle en comprend et comment elle la traduit dans leurs activités, ses rôles, ses rituels, ses artefacts, ses attitudes. Pour chaque rôle, je demande si la ou les personnes qui le tiennent ont les responsabilités et le pouvoir décrits dans le
Guide. Pour chaque artefact, etc. Vous l’aurez deviné je vais rarement au delà de 2 ou 3 trois questions avant
de constater la déviation par rapport à l’exigence Scrum.


De fait, je n’ai pas encore vu une seule équipe qui fasse du Scrum ! Est-ce grave ? Peut-être pas. Scrum seul n’est pas l’agilité. Et on peut être Agile sans faire du Scrum. Non, le problème est que ces équipes et les organisations qui les financent croient réellement faire du Scrum, croient réellement être Agile. Si on peut
faire de la prose sans le savoir, on ne peut pas être Agile sans un minimum de rigueur dans l’application des
valeurs et principes Agile, sans un minimum de respect pour l’état d’esprit de l’agilité, sans un maximum d’effort de compréhension des raisons sous-jacentes qui forment l’essence de la démarche Agile et assurent la réussite de la mise en œuvre des pratiques.


Oui, concernant la démarche Agile et son implantation, que ce soit pour une équipe ou pour une organisation, je suis plus Saint-Just que Danton, même si les deux finirent sur l’échafaud. Et je constate que la démarche Agile n’est jamais vraiment implantée.


Quelles sont les raisons des échecs des transformations Agile Des transformations Agile avec succès, c’est comme les poissons volants, ça existe sans doute mais je n’en ai jamais vu. Des transformations interrompues, qui échouent lamentablement, avec des retours arrière plus ou moins affirmés comme tels, par contre, il y en a pléthore. Il est donc naturel de se demander quelles sont les causes de l’échec des transitions vers l’agilité, que ce soit au niveau des équipes de développement ou de l’entreprise ? J’en vois au moins trois : la compromission, la mauvaise distribution des rôles,et enfin la suffisance. La première et la dernière nous incombent, la deuxième est consubstantielle à la transformation.


Avant de décrire plus précisément ces causes, laissez moi vous rappeler les « lois » de Larman sur les organisations, car il me semble que ces « lois » expriment parfaitement la source première de nos maux. La première dit que les organisations sont optimisées pour éviter le changement et maintenir le statu quo quant aux structures de pouvoir des manageurs intermédiaires et des spécialistes. La deuxième précise que toute initiative de changement se réduit à redéfinir la terminologie tout en gardant le statu quo. Enfin la troisième signale que dans le cas où de rares voix s’élèveraient pour que le changement soit réel, elles
seraient immédiatement taxées de « puristes », de « théoriciennes » déconnectées de la « réalité ».


J’ai pu, et vous aussi sans doute, vérifier et subir in situ la véracité de ces « lois ».


Des compromis à la compromission


Nous, consultants, coaches et experts, sommes amenés, dans nos conseils, à faire des compromis avec la hiérarchie, avec le management, et avec les équipiers : « tu comprends, notre contexte est particulier/unique/. . . », ou bien « Oui, faire une démo avec l’utilisateur à chaque fois ce serait bien, mais il est très occupé », et l’ineffable « Bon, avoir un proxy PO c’est mieux que rien ». Et bien non, vous êtes comme les autres, les lois de la physique (du développement) sont les mêmes pour tous ! Non, le retour d’information fréquent et régulier par votre utilisateur est la seule façon de naviguer dans le contexte VICA ! Non soit l’organisation peut libérer un PO avec les responsabilités et le pouvoir de décision afférents, soit elle ne le peut/veut pas, auquel cas, ne travaillez pas en Agile ! Un PO mandataire sans pouvoir réel qui n’est plus qu’un passe-plat ne peut pas remplacer un vrai PO.


Au cours d’une transition Agile des distorsions aux pratiques Agile sont ainsi petit à petit diffusées. Des travers et des dévoiements subtils appa-raissent sous la forme d’« accommodements », prenant l’apparence de
solutions de contournement comme excuse à la difficulté voire l’impossibilité d’appliquer rigoureusement
telle ou telle pratique (« en attendant d’être plus mature »). Ce palliatif, qui avait été annoncé comme
temporaire, se répand et devient la règle.


Les conséquences de ces compromis sont que la démarche Agile n’est pas vraiment implantée, mais que la
hiérarchie, le management, l’équipe peut clamer le contraire en s’appuyant sur votre accord plus ou moins tacite (« notre coach a validé notre adaptation de la méthode »). Non, avant d’adapter il convient d’adopter
! Puis vient le moment de la confrontation à la dure réalité : l’édifice branlant, maintenu à bout de bras
dans la souffrance que les dissonances entre l’annoncé et le vécu génèrent, finit par s’écrouler, parce qu’il s’écroulera, le bougre, lorsque les bénéfices promis/attendus par l’agilité ne seront pas au rendez-vous. Alors soyez sûrs que la démarche Agile sera alors la seule coupable (avec vous, bien sûr). En acceptant le compromis nous avons délibérément scié la branche sur laquelle notre crédibilité et celle de la démarche Agile, sont assises.


L’organisation, par sa hiérarchie, a alors beau jeu d’accuser l’agilité des échecs de la transformation et de
demander, et d’obtenir, le retour aux bons vieux principes mécanistes : taylorisme, planification extensive, périmètre constant, etc. Ne vous plaignez pas. Votre soumission aux chouineries de votre entreprise ou de votre client ont créé les conditions de votre échec.


Distribution des rôles : Le Bollywood de l’agilité

Si la transformation Agile d’une entreprise est initiée et voulue par la Direction, elle ne peut être pilotée et réalisée que par le management intermédiaire. Or ces manageurs en ont bavé pour arriver là où ils sont. Pour arriver à leur petite once de pouvoir, pensez à toutes les couleuvres qu’ils ont avalées, à toutes les personnes qu’ils ont écrasées, pensez aux heures qu’ils ont passées à rédiger à la hâte ces milliers de planches PowerPoint et ces milliers de feuilles Excel et pourtant destinées à la broyeuse dès qu’écrites, pensez à . . . non n’y pensez même pas. Et vous voudriez qu’ils soient les champions, les garants, les meneurs
d’une réforme de leur organisation dont la conséquence sera la perte de ce maigre mais si délicieux car
chèrement acquis pouvoir ! « Quoi, je ne ferai plus d’évaluations individuelles annuelles ?


Comment, je ne commanderai ni ne contrôlerai plus ce que font mes collaborateurs ? »

C’est méconnaître la nature du dominant que de croire qu’il acceptera de perdre ce qu’il a mis tant de temps et d’effort à obtenir. Comme le dit Montesquieu, « c’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser : il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. »

Les croyances, exprimées ou intériorisées, connues ou ignorées, des manageurs tayloristes sont à l’antipode des croyances des acteurs Agile. Donner la responsabilité de conduire une transformation Agile à des manageurs qui ont ce droit de par leur position hiérarchique acquise par le succès de leur comportement tayloriste passé est simplement absurde, tant les nouvelles valeurs qu’ils sont désormais censés promouvoir vont à l’encontre de leurs croyances les plus profondes, celles qui ont justifié tous leurs sacrifices.


Suffisance ou insuffisance : quand notre langage nous sépare de nos interlocuteurs

« La story dans ton backlog, tu la fais dans le sprint jusqu’à sa definition of done. La feature on en parlera lors du pi aïe. Mais bon, on est draillevé par les epics du portfolio. »


Quand un consultant ou un coach s’exprime ainsi, croyez-vous que son interlocuteur « métier » le suive les
yeux fermés ? Vous pensez que j’exagère ?


Mais écoutez-vous ! L’aliénation à la mode ou la soumission à l’anglolaid participe au rejet de votre
discours. Ce n’est pas en baragouinant un sabir incompréhensible que vous faciliterez l’apprentissage des valeurs, principes et pratiques Agile. Ah, l’occurrence de ce A majuscule me rappelle que je vous avais promis de vous en donner l’explication. La voici.


Pourquoi ce A


En tant qu’adjectif, agile signifie (Larousse) : qui a de l’aisance et de la promptitude dans les mouvements
du corps (souple, alerte) ; qui est vif, prompt à comprendre. Une pratique peut-elle être agile ? Quand un coach se dit agile, signifie-t-il qu’il est vif et prompt à comprendre, ou bien qu’il est un expert en yoga ?
Quand je parle de coach agile je fais un calque de l’anglais agile coach qui ne distingue pas l’adjectif du 
complément de nom.


En français il conviendrait de dire « je suis un coach de la démarche d’agilité du développement de produit ». Ou encore « cette pratique met en œuvre les valeurs et principes de la démarche d’agilité du développement de produit ».


C’est un peu lourd, j’en conviens. Aussi, à l’écrit, je préfère introduire un mot invariable, Agile, qui
rappelle au lecteur qu’un coach Agile peut ne pas être agile et qu’une pratique Agile n’est pas agile.


En conclusion

Peut-être vous ai-je choqué (je ne m’en excuse pas), peut-être avez-vous retrouvé dans ce texte un peu de votre vécu (c’est fort probable). La démarche Agile doit être comprise comme une innovation managériale alors qu’elle n’est vu par les entreprises (tayloristes) que comme une mode : elles en marmonnent quelques mots pour recruter et faire comme les petits copains, mais au fond d’elles-mêmes elles restent mécanistes. Division du travail entre les penseurs et les faiseurs, hiérarchie pesante commande & contrôle. Les agilistes ne cherchent pas tous à construire des entreprises opales, mais juste à rappeler que, dans le travail du savoir au moins, ceux qui savent le mieux sont ceux qui font réellement. Une entreprise Agile ne peut donc conserver une organisation hiérarchique, car cette dernière favorise les silos séparés alors que la valeur pour le métier circule horizontalement entre les silos pilotés verticalement par ladite hiérarchie.

Il me semble plus que temps de prendre du recul sur l’état de l’Agilité en 2023. Ne devons-nous pas nous demander si le Manifeste pour un développement Agile de logiciels est encore valable en l’état dans le contexte actuel ?

Ne faut-il pas s’interroger sur les constats que nous sommes amenés à faire lors de nos missions avec les entreprises pour les aider dans leur transformation et avec les équipes de développement dans leur mise en œuvre d’une démarche Agile ? La conférence qu’organise le chapitre France du PMI le 9 mars abordera ces points, les obstacles et les bloqueurs à l’agilisation.

Inscrivez-vous à PIAF 2023 : https://pmi-france.org/conferences/calendrier-de-tous-les-evenements?eventId=15511

Laurent Thomas
co-auteur PMBoK7

laurent.thomas@pmi-france.org